Médias Sociaux dans l’entreprise : « It’s [NOT] the marketing, stupid! »

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Quand elle s’intéresse aux médias sociaux, l’entreprise n’y voit souvent qu’un nouveau canal marketing, un nouveau moyen de toucher et fidéliser sa clientèle. Les entreprises qui l’entendent de cette oreille passent malheureusement à côté du véritable potentiel des médias sociaux. Car la réelle opportunité « Social Media » dans l’entreprise n’est pas marketing. Malgré toutes les magnifiques campagnes qui utilisent les médias sociaux de manière toutes plus ingénieuses les unes que les autres, ce n’est pas là le réel potentiel pour une entreprise sur le web social. La révolution « Social Media » dans l’entreprise est une révolution culturelle, une révolution de management qui doit faire passer la communication par tous les organes de l’organisation : service client, R&D, produit, RH, maintenance…

Le problème aujourd’hui de l’utilisation des médias sociaux dans l’entreprise, c’est qu’elle est souvent accaparée par le département marketing… qui donc les utilise à des fins marketing. Cette approche, à mon sens,  néglige totalement le changement de paradigme médiatique qu’a entraîné l’adoption des médias sociaux par les internautes. Pour l’entreprise, cela veut dire notamment :

  1. Je n’ai plus le monopole de ma communication / Traduction : mes clients peuvent parler de moi avec la même puissance que moi
  2. Mes clients sont devenus eux-aussi des marques / Traduction : il faut donc traiter dorénavant ses clients comme ses pairs
  3. La communication médiatique se veut dialogue sur les médias sociaux / Traduction : avant de parler, il faut écouter

A partir de là, à quoi bon investir Facebook ou Twitter si c’est pour s’y comporter de la même manière que sur les médias traditionnels ? Si l’on prend de nombreuses pages Facebook de marques, on s’aperçoit que leur utilisation va complètement à l’encontre de cette nouvelle donne :

  • Tout d’abord l’espace d’expression qui est offert aux internautes se résume le plus souvent aux commentaires : la parole de l’entreprise reste toute puissante et ne questionne les membres que sur des sujets futiles qui ne concernent en rien les produits ou stratégies de l’entreprise –  réduisant la parole du fan à un feedback binaire insignifiant : « j’aime » ou « j’aime pas »
  • elles recréent un modèle de diffusion de l’information one-to-many, renvoyant l’internaute 2.0 dans la masse consumériste anonyme
  • ces pages de fan ne sont pas des espaces d’écoute, elles  sont d’abord des espaces de diffusion de l’information pour les entreprises

Si les fonctionnalités propres à Facebook ont certainement leur part de responsabilité, c’est tout de même la façon de l’utiliser qui fait la différence. Et dans la philosophie marketing, l’internaute reste un simple prospect/client dont il faut capter l’attention.

L’erreur dans cette approche marketing, c’est d’oublier le « Social » de l’expression Social Media. Ou plutôt de mal l’interpréter. Il ne s’agit pas seulement de viralité, d’UGC (User Generated Content) ou encore de SCRM (Social Customer Relationship Management). Le Social Media, c’est l’individu média. C’est réduire le point d’émission de la communication à son unité la plus petite et incompressible, c’est à dire l’individu, afin de retrouver l’humanité du discours, un lien social de la communication de pair à pair. Et qu’elle est la plus petite unité  incompressible des rouages d’une entreprise ? C’est l’employé ! Le Social Media dans l’entreprise, c’est donner la parole aux employés. L’opportunité du Social Media dans l’entreprise, c’est de casser ce discours mercantile, froid et méprisant pour le client afin de retrouver un véritable dialogue entre – non pas la marque et ses clients (une marque n’est pas une entité sociale) – mais entre les clients d’un côté et les femmes et les hommes qui font l’entreprise de l’autre. Les médias sociaux concernent ainsi tous les maillons de l’entreprise – tout simplement parce que la conversation digitale que lance les clients  à l’entreprise s’adresse à tous les organes de cette dernière :

  • Le service client : les médias sociaux permettent une tout nouvelle approche de la relation client : publique, transparente, le service client n’a surtout plus le droit d’ignorer le moindre client mécontent sans effet boomerang sur l’image de la marque (puisque le mécontentement s’exprime publiquement). Le Social Media, en fait, oblige le service client à revenir aux fondamentaux : fini les serveurs vocaux, les call centers externalisés incompétents, les lettres clients impersonnelles produites en série. Les médias sociaux  obligent le service client à retrouver la voie du dialogue vrai et du service avec ses clients. Bien sûr, cela coûte plus cher, mais les plus grands biens des entreprise ne sont-ils pas ses clients ?
  • R&D et crowdsourcing : le web social est un immense réservoir d’idées pour les entreprises en mal d’innovation. Et quoi de plus pertinent que de solliciter l’imagination des utilisateurs finaux de ses produits ? Les médias sociaux sont alors de formidables outils pour susciter et récupérer ces précieuses idées. Dell a été l’un des pionniers en la matière en lançant IdeaStorm dans le but d’implémenter les services et fonctionnalités les plus demandées par ses clients.
  • RH : les médias sociaux permettent une nouvelle transparence dans le processus d’embauche. Le candidat peut rencontrer « virtuellement » son employeur avant l’entretien. Le relation est plus informelle et se veut moins guindée : ce n’est plus l’entreprise qui embauche, mais le directeur des ressources humaines.
  • Vos produits/services ne sont pas sans défauts : pour les ingénieurs produits, les développeurs, les médias sociaux permettent d’obtenir un feedback direct et en temps réel sur leur travail qu’ils n’auraient pas autrement. Et il ne s’agit pas seulement de détecter les éventuels défauts du produits ou les potentielles améliorations du service. Les clients, quand ils sont satisfaits, le disent également. Les médias sociaux cassent l’inter-médiation de nos modèles économiques modernes : les producteurs se retrouvent face aux utilisateurs.
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Les médias sociaux invitent donc tous les employés à devenir eux même des communicants. Est-ce la fin pour autant du département communication ? Non. C’est plutôt un nouveau rôle à jouer pour les experts communication de l’entreprise :  un rôle d’organisation, de formation, de centralisation et de coordination. Si les médias sociaux sonnent l’heure du « tous communicants » c’est parce qu’ils changent la nature profonde de la communication tout autant qu’ils modifient les attentes des clients dans leur relation à l’entreprise. La révolution des médias sociaux n’est pas une révolution marketing, elle est une révolution culturelle, qui place la communication à tous les étages, brise les barrières entre les organes de l’entreprise , et oriente tous les employés vers un seul et unique but qui ne devrait jamais être autre : la satisfaction client. Elle est là la vraie rupture que peuvent apporter les médias sociaux dans l’entreprise – si tant est que l’organisation en saisisse l’opportunité.