Le Social Gaming, s’il part à l’assaut de l’industrie du jeu vidéo de part son modèle économique du gratuit, s’avère également très intéressant dans l’approche qu’il propose des interactions sociales. Ces jeux doivent leur succès à la plateforme qui leur fournit les joueurs : Facebook et son Social Graph comme le souligne Tiris sur Gameblog.fr. Le Social Game est en fait un jeu vidéo qui attache moins d’importance à l’expérience ludique qu’aux joueurs avec qui vous jouez. Mieux, le Social Gaming nous apporte de nouvelles fonctionnalités d’interaction avec nos amis : en nous offrant des modalités de communication nouvelles, les Social Game nous dote d’une sorte de nouveaux organes qui s’appelleraient Farmville, Mafia Wars, …
Ce qui est important, ce n’est pas le jeu en lui même, mais avec qui vous jouez
Le Social Media est le média de l’interaction. A la différence de la TV, la radio, les journaux, les médias sociaux ont cette particularité qu’ils fonctionnent sur une interaction entre le blogueur et son lecteur, entre les membres d’un même réseau social ou d’un forum. Le Social Game est donc un jeu qui vient s’inscrire dans une matrice de relations sociales déjà existante. Ainsi, à la différence des MMORPG (Massively Multiplayer Online Role-Playing Game) ou des salles de jeux en ligne telles que Yahoo Games par exemple, le Social Game s’appuie sur l’infrastructure sociale que permet Facebook. Or la structure sociale de nos réseaux sur Facebook est composée de liens forts puisqu’elle s’appuie sur les amis, la familles les collègues : bref, des gens que l’on connaît en vrai. Dans un Social Game, il ne s’agit donc pas de jouer avec un internaute inconnu à l’autre bout de la planète, mais bien de jouer avec sa famille, ses amis. Si le jeu en lui même reste relativement pauvre en terme de gameplay, de design, … c’est le lien qu’on entretient avec les autres joueurs qui fait la différence. Et comme le souligne Antonio A. Casilli dans « Les liaison numériques » :
« […] les usagers [des communautés online] reproduisent souvent en ligne le même type d’environnement sociologique que ceux auxquels ils appartiennent hors ligne »
Dans le Social Game qui se joue sur Facebook, le joueur se retrouve donc naturellement dans un environnement social connu. A cet égard, il est tout a fait intéressant de se pencher sur WOW (World Of Warcraft) pour les néophytes. Ce célèbre MMORPG qui a connu un succès mondial tient à mon avis plus à la construction sociale de ses équipes de joueurs qu’ à son expérience de jeu. Pour avoir eu des amis qui ont y ont joué, je peux dire que les équipes (les guildes) qui interagissent dans le jeu ne sont pas composées d’inconnus : famille, amis, mais aussi collègues sont les partenaires de jeu avec lesquels on accompli les missions demandées ou avec lesquels on va affronter d’autres équipes (guildes). Comme le dit Neferneith sur Deux gars en robe :
“Une guilde c’est 25% d’amis, 25% de collègues, 25% de chieurs et 25% d’inconnus”
Je passerai également sur le non moins célèbre Counter-Strike, autre jeu en réseau : voilà encore un jeu qui se joue par équipe et dont les membres sont les amis que l’on côtoie IRL.

La force du Social Game, ce n’est donc pas tant son potentiel viral comme le souligne Tiris, mais plus l’infrastructure sociale sur lequel il s’appuie : le fameux Social Graph. Si les premiers jeux vidéos nous faisaient jouer contre des ordinateurs, l’arrivée des jeux online nous avaient fait découvrir le plaisir de joueur contre nos semblables : le Social Game, lui, nous propose de jouer avec nos amis via des ordinateurs interposés.
Quand le jeu redéfinit les contours de l’interaction sociale
Non content de nous ouvrir la possibilité de jouer avec nos amis où qu’ils soient sur le globe (pourvu qu’ils aient une connexion Internet), le Social Game nous offre qui plus est de nouvelles possibilités d’interactions avec nos amis. Déjà avec l’introduction du like, Facebook nous donnait un nouvel outil de communication : la possibilité d’exprimer notre approbation via une sorte de nouvel organe mono-tâche. Le Social Game va plus loin puisque il recrée tout un univers de jeu accompagné de fonctionnalités diverses et variées qui vont nous permettre toute une palette d’interactions nouvelles avec nos amis. Si nous prenons Farmville par exemple, et bien je peux choisir mon voisinage parmi mes amis, ou encore échanger mes récoltes avec eux. Ces échanges sont même nécessaires à la réussite du jeu. Il ne s’agit donc plus seulement d’échanger des mots de vocabulaire, le Social Gaming invente un nouveau langage, de nouvelles formes d’interactions qui seraient impossible dans la réalité. Mais qu’importe, puisque c’est bien la symbolique qui compte, tels des preuves d’amitié ou de bonne camaraderie, ces actions virtuelles forment comme une sorte d’extension de nos outils de communication, comme un nouvel organe de communication dont les tâches seraient définies au préalable.
Le Social Gaming développe ainsi une sur-couche de jeu sur la matrice de notre réseau social, tel un « game layer on top of the world » comme le décrit Seth Priebatsch lors de cette conférence TED à Boston en juillet 2010 :
Le monde ne serait-il ainsi qu’un vaste jeu ? Peut-être faut-il en douter. Certains actes de la vie de tous les jours peuvent nous paraître assez éloignés des notions de plaisir et d’amusement qu’accompagnent le jeu. Mais il est vrai que les réseaux sociaux online permettent d’un simple clic de se débarrasser d’un ami trop encombrant, ou de signifier la fin d’une relation amoureuse. Ces actions qui peuvent s’avérer pénibles et douloureuses peuvent être exprimées et réduites à un simple click online : plus besoin de s’expliquer, l’action est réduite à un simple choix binaire comme savent si bien le matérialiser les jeux vidéos.
Demain, tous Social Gamers ?
Les Social Games compteraient près des 400 millions de joueurs à travers le monde. Comme beaucoup de jeux, le Social Gaming peut s’avérer addictif et devient alors pour les joueurs la seule modalité de contact social. Entendons-nous bien, le jeu ne désocialise pas le joueur – il offre de nouvelles modalités d’interactions sociales de l’individu avec son réseau. Il n’en reste pas moins que les nombreux cas d’addiction à ces nouvelles formes de jeu posent la question d’une nouvelle forme de sociabilité dont les modalités relationnelles seraient contenues toutes entières dans les fonctionnalité du jeu, oubliant les outils de langage « traditionnels ». Si le Social Game devient un nouveau mode d’expression sociale, un nouveau langage, pourrait-il aller jusqu’à remodeler nos usages communicationnels et transformer nos sociétés en un gigantesque jeu vidéo ?
EDIT 1 du 23/11/2010 : je vous invite à consulter la vidéo de la conférence organisée par le Social Media Club France sur le sujet le 3 novembre 2010 qui a inspiré en partie ce billet.